«Un consultant est une personne qui prend votre argent et ennuie vos employés tout en recherchant infatigablement la meilleure manière de prolonger son mandat».
«Les consultants quittent finalement votre entreprise, ce qui en fait d'excellents boucs-émissaires pour le management».
Scott Adams, «The Dilbert Principle»
Lors une récente diffusion, la chaîne de télévision Arte commentait l'intervention d'un grand cabinet international de conseil d'entreprises dans certaines grandes villes d'Allemagne dont les finances ne peuvent plus supporter le poids des dépenses liées à la culture. Interviewé, un directeur de théâtre de Stuttgart commentait amèrement le travail des consultants en soulignant qu'ils n'avaient pas écouté l'ensemble des personnes concernées par la problématique de la culture et qu'en plus, les conclusions du cabinet de conseil allaient systématiquement dans le sens des souhaits du client, en l'occurrence celui d'une réduction drastique des dépenses pour la culture. Dans son numéro de janvier 1998, la revue «Bilan» publiait un article consacré au conseillers d'entreprise qui commençait ainsi:
«Qu'est-ce qu'un quintette?
Un orchestre philharmonique revu et corrigé
par le Boston Consulting Group».
Ces deux anecdotes sont significatives (à noter que «Boston Consulting Group» pourrait être remplacé par le nom de n'importe quel cabinet): il est devenu courant de brocarder les consultants. Crise économique et globalisation aidant, ceux-ci sont considérés comme des oiseaux de mauvaise augure, des manipulateurs sournois et cupides, des agents à la solde des patrons qui les engagent pour justifier de réorganisations conduisant immanquablement au mieux à des perturbations graves et durables de l'entreprise ou au pire à des licenciements massifs... Depuis plusieurs années, le consulting est passé de l'état de profession à celui de business et des gourous prêchent régulièrement les vérités du moment, engageant des entreprises à s'aventurer sur des chemins aussi innovateurs qu'incertains. Pour autant, les consultants sont-ils toujours responsables? Les entreprises clientes ne sont-elles pas une partie prenante essentielle de la démarche du conseiller?
Il convient en effet de rappeler que le choix et de l'engagement d'un consultant relève de la responsabilité unique et exclusive du mandant. C'est lui qui, sur la base de ses besoins décidera du consultant ou du cabinet qui répondra le mieux à sa demande car, en règle générale, l'intervention d'un consultant au sein d'une entreprise constitue un prélude à des changements majeurs de l'organisation ou du nombre de postes de travail.
La responsabilité des consultants se trouve donc pleinement engagée dès lors qu'ils acceptent d'assurer le mandat que le client veut leur confier. Cette dernière s'articule autour de deux niveaux essentiels: la technique et l'éthique.
Sur le plan technique, le consultant doit faire valoir à son client l'expérience acquise relativement au mandat qui lui est proposé. Ceci implique non seulement d'avoir l'honnêteté de déclarer ce que l'on sait effectivement faire, mais aussi d'admettre que dans tout mandat, le consultant apprend de son client au moins autant qu'il peut apporter de connaissances à l'entreprise à qui il prodigue ses services.
Le rôle du consultant impliquera également d'apporter une lecture simplifiée de la réalité du client. Simplicité n'en signifie pas pour autant simplisme, mais est à comprendre de la même manière qu'une expression algébrique qui, après plusieurs étapes successives, se réduit à une expression plus simple mais dont l'essence n'est pas différente de l'équation initiale. C'est dans ce travail de simplification que se trouve une part majeure de la valeur ajoutée de l'exercice du métier du consultant.
C'est au niveau de l'éthique que la responsabilité humaine du consultant prend toute son importance et le principe d'inclusion en est l'élément majeur. Au même titre qu'un médecin exerce son art dans un terrain (le corps, l'état de santé général de son patient), un consultant pratique au sein d'un système complexe, l'entreprise cliente. Ce microcosme est composé de diverses unités qui interagissent entre elles de manière plus ou moins visible. De plus, un élément-clé du fonctionnement des entreprises consiste en toutes les interactions qui ont lieu entre êtres humains, avec l'ensemble de leurs composantes objectives, mais aussi subjectives et émotionnelles. Ainsi, dans l'exercice de son mandat, le consultant aura pour devoir de ne rien laisser de côté, et tout particulièrement les personnes concernées par son intervention et ses probables conséquences, qu'elles soient organisationnelles ou humaines. S'il appartient enfin au client d'appliquer les recommandations résultant du travail des consultants, ces derniers porteront pourtant, certes indirectement, leur part de responsabilité dans les diminutions ou suppressions de postes de travail qui pourront résulter de leurs interventions.
Il serait néanmoins injuste d'accuser une seule corporation des maux qui font actuellement souffrir l'ensemble d'une société. En Europe depuis plusieurs années, en Suisse plus récemment, les tendances du monde du travail (c'est à dessein que je n'utilise pas le terme de «marché») subit des mutations majeures, dues pour partie à une plus grande automatisation du travail, mais aussi à la globalisation des rapports économiques. Les professionnels du conseil d'entreprise exercent eux aussi leur métier dans ce contexte changeant et interviennent souvent chez des clients qui vivent ces mutations dans l'angoisse plutôt que la sérénité, dans le chaos plutôt que dans l'ordre. Au bout du compte, il est essentiel de réaliser que nous vivons actuellement une mutation profonde de la manière de travailler - à laquelle les métiers liés au conseil d'entreprise n'échappent pas.
Certains métiers séculaires ont disparu à jamais au cours de la dernière décennie et de nouveaux apparaîtront ces prochaines années. La mobilité est devenue une composante majeure de notre vie professionnelle comme de celle de nos proches. Le sinistre terme d'«employabilité» est entré dans le langage courant, traduisant la nécessité pour les individus d'intégrer le changement et la flexibilité en tant que valeurs fondatrices des nouveaux modes de travail. Dans ce contexte, la responsabilité du consultant est de rappeler inlassablement que le monde change et que plutôt que de résister (ce qui est pourtant une attitude instinctive pour la plupart d'entre nous), il convient au contraire de s'intégrer dans le flux du changement dont on peut imaginer que le rythme deviendra de plus en plus rapide ces prochaines années. C'est dans cette perspective que le consultant peut pleinement exercer ses responsabilités de professionnel, mais aussi d'individu à part entière.
Je suis convaincu que l'être humain et les sociétés possèdent tout le potentiel d'adaptation nécessaire à vivre ces transformations dans les meilleures conditions possibles, humainement, socialement et économiquement; ils l'ont prouvé à maintes reprises par le passé, même si changement rime aussi avec souffrances. Ceci implique cependant que chacun prenne ses responsabilités et ose aborder les zones d'insécurité, ose affronter l'inconnu. Les entreprises, les collectivités publiques et les individus ne pourront rien réaliser seuls, isolés, ou en conflit les uns contre les autres.
L'idéogramme chinois correspondant au mot «changement» est composé de deux caractères, l'un signifiant «risque», l'autre «opportunité». Si nous ne prenons pas de risques, aucune opportunité ne se présentera à nous.